… dans les pages du journal Sud-Ouest :
…. et ici, le texte dans son intégralité :
Je me permets de réagir à l’article publié dans vos pages le 25 septembre dernier sous le titre « Ouverture d’un bureau de poste ‘’nouvelle génération’’ » à Villenave d’Ornon où vous faites état de la destruction de la poste du Pont de la Maye programmée au premier trimestre 2021.
La ZAC de la route de Toulouse s’inscrit dans le projet métropolitain qui vise à intensifier les qualités de vie de notre territoire en introduisant de nouvelles aménités dans la sphère de l’habitat : déplacements, services, équipements et espaces publics. Un projet bienvenu pour un axe aménagé jusqu’alors au gré des opportunités, pour et par l’automobile, sans vision d’ensemble tel un espace ‘’vide poche’’ dépourvu d’harmonie. L’urbanisme et l’architecture en cours de réalisation permettent d’espérer mieux et les bâtiments déjà livrés, par leur force et leur sobriété attestent d’un souci de mise en cohérence. On sent se profiler justesse et retenue, qualités étrangères à d’autres nouveaux quartiers de l’agglomération.
Pour autant, on peut regretter que quelques traces du passé moderne villenavais n’aient pas été mieux considérées.
La poste de la place Aristide Briand, petit volume bas, soigneusement dessiné, composé de panneaux de béton de galets, de claustras géométriques, couronné d’un acrotère rainuré est un témoignage de l’architecture brutaliste des 30 Glorieuses. Elle illustre une volonté de modernisation de ce qui était alors une administration d’état relevant des PTT : par la création de nouveaux bureaux, centres de tri et autres bâtiments administratifs, elle renouvelait son parc immobilier, se rapprochant des usagers. L’expression architecturale convoquée, issue du Mouvement moderne, incarnait une époque… encore mal connue et peu appréciée aujourd’hui. Le bâtiment sera détruit d’ici quelques mois. Ce même sort a été jeté il y a peu au bureau de poste de Taussat sur le Bassin d’Arcachon dont l’intérêt architectural était équivalent.
L’architecture moderne serait-elle encore trop récente pour que nos regards la considèrent ? Historiquement, il est vrai que l’on reconnaît ce qui nous est le plus éloigné et pour qu’un bien est valeur de patrimoine, il faut souvent que l’oubli commence à faire son travail. Or, le XXe siècle est pour la plupart d’entre nous encore notre quotidien.
Pourtant, depuis les années 1980, du patrimoine qui nous était bien antérieur, on s’est mis à considérer le patrimoine plus récent, qui nous est contemporain. S’il peut être protégé au titre des Monuments Historiques, il peut aussi être labelisé au titre de l’Architecture Contemporaine Remarquable par le Ministère de la Culture et de la Communication dans le but de reconnaître des réalisations de moins de 100 ans. Identifier, reconnaître, protéger la production ordinaire, courante mais pour autant qualitative, voilà un enjeu important pour sensibiliser nos concitoyens à la qualité de notre cadre de vie.
Villenave d’Ornon possède quelques réalisations qui pourraient -ou auraient pu- prétendre à ce label : outre le bureau de poste, le central téléphonique (services techniques de l’entreprise de télécommunications Orange) qui lui est proche, l’église Saint-Delphin et le théâtre Georges Méliès.
Identité et mémoire étant liées, ces bâtiments étaient susceptibles d’être intégrés et mis en lumière dans le cadre d’un tel projet de renouvellement et de création de centralité. Un autre choix a été fait pour deux d’entre eux puisqu’outre la démolition de la poste, le central téléphonique a été « embelli » afin de gommer son « aspect de bunker » selon les termes retranscrits dans l’article de Sud-Ouest du 17 09 2019. Cette dernière option a le mérite d’offrir la réversibilité aux générations futures qui jugeront de l’intérêt de rétablir l’intégrité architecturale de ce petit édifice désormais recouvert d’une fresque multicolore.
Pour comprendre et adhérer à un processus de patrimonialisation, il importe de ne pas se contenter de regarder mais d’être en faculté de voir. L’éducation et la sensibilisation à l’architecture en restent un maillon essentiel qui concerne autant le grand public que les acteurs de l’aménagement, porteurs d’une connaissance technique et juridique… plus que culturelle.
Caroline MAZEL
Architecte / www.carolinemazel.com