L’architecture des ‘’bons architectes’’
Je ne crois pas que l’architecture soit un art comme un autre et l’architecte uniquement un artiste inspiré. A la différence d’autres arts, l’architecture n’est pas libre de toute contrainte car elle possède une dimension de participation. Contrairement à la peinture ou à la sculpture, elle ne se met pas à distance. On entre en elle. On vit en elle. Notre immersion est totale… et les conséquences sont toutes autres. En ce sens, comme le rappelle l’italien Renzo Piano[1], l’architecture peut être « un art socialement dangereux car imposé à tous ».
C’est pourquoi je défends une architecture pensée par et pour l’homme. Cela signifie que si elle est le premier des arts, l’acte créatif ne peut être placé au-dessus de l’humain. « Le dessin ne doit pas être prétexte à faire œuvre » -Glenn Murcutt[2]– et l’homme doit rester au centre de nos pensées. Par conséquent, je n’adhère pas aux architectures spectaculaires et formelles, souvent ostentatoires qui privilégient l’apparence à l’usage. Ce ne sont pas les étoiles que l’on jette sur les bâtiments qui m’intéressent ni les vedettes auxquels on les commande. Mais les anti-stars. Ceux qui, au-delà de la préoccupation esthétique et stylistique ont développé une démarche qui relève de la déontologie de l’architecte et qui respectent les fondamentaux de notre métier. Qui, chaque jour, s’interrogent sur la « légitimité des formes » qu’ils génèrent à la manière de Pierre Riboulet[3]. Plus nombreux qu’on ne le croit, ils refusent de « se soumettre » selon la formule de Fernando Castillo[4] et portent en eux « la capacité de révolte » que défend Renzo Piano, la « désobéissance civile » prônée par Henri David Thoreau[5] et participent à l’évolution de notre société. « L’architecture ne doit pas être vaine » -Fernando Tavora[6]-, elle doit réagir à une situation. Si ces architectes ont le souci de l’économie de leurs projets, ils refusent le dictat du seul rendement estimant que l’architecture n’est pas une marchandise mais avant tout une question de valeurs.
Dans cette perspective, au-delà des seuls ‘’grands architectes’’ qui ont accompli une œuvre, j’ai fait le choix de parler des ‘’bons architectes’’. De ceux qui prennent à bras le corps la question primitive du bien-être, qui privilégient l’espace vécu et défendent le « droit à la ville » et au logement tel que l’entendait Henri Lefebvre[7].
[1] Architecte italien (1937-) [2] Architecte australien (1936-) [3] Architecte français (1928-2003). Grand Prix National d’Architecture en 1981. [4] Architecte chilien (1918-2013), opposant à la dictature de Pinochet. [5] Philosophe américain (1817-1862) à l’origine du concept de « non-violence ». [6] Architecte et enseignant portugais (1925-2005). Fondateur de l’école de Porto. [7] Philosophe et sociologue français (1901-1991).
L’architecture de l’habitat
Plutôt que des échanges virtuels par écrans et images interposés, je crois que les hommes ont encore besoin de contacts physiques, humains… et donc de ville. Or la ville et l’urbanisme sont indissociables de l’habitat. « Il est impossible de penser le logement sans la ville » rappelait Edith Girard[8] car c’est bien la combinaison de logements qui crée le moindre village. Et en fonction de la manière dont ils s’organisent, de la place que chaque bâtiment trouve par rapport à l’autre et accorde à l’autre, en fonction des rues et des boulevards qu’on donne à la promenade, des squares, perrons ou escaliers qu’on offre pour s’asseoir et bavarder, nous trouvons la ville accueillante, la vie conviviale. Il est question d’urbanité, de la « politesse des maisons » dont parle Renée Gailhoustet[9]. Plus que les édifices autistes voire hautains, à l’architecture ‘’victime de la mode’’, je préfère mettre en avant ceux qui composent amicalement avec le ‘’déjà là’’. Ceux qui dialoguent entre eux en bons voisins, avec affabilité, qui offrent un visage qui traverse le temps et continuent d’écrire cette merveilleuse invention de l’homme qu’est l’espace urbain, la citta chère aux Italiens. Il est question que le « faire ville ensemble » féconde un meilleur « vivre ensemble » -Jean Viard[10]-. « Faire humanité » mais aussi s’épanouir dans la sphère privée, au sein de sa maison ou de son appartement, auprès de sa famille et de ses amis. Et à l’heure du temps libre, l’importance d’un logement adapté aux modes de vie contemporains se pose plus que jamais.
[8] Architecte française (1949-2014). [9] Architecte française (1929-). [10] Sociologue français (1949-).
L’architecture qui rassure et épanouit
Ne pas adhérer aux gestes pittoresques et isolés, s’intéresser en particulier à l’habitat n’implique pas d’exclure les équipements et monuments car ils sont une partie essentielle de toute société humaine. La mairie, la bibliothèque, l’école, le théâtre, l’église, l’hôpital comptent parmi ceux-ci. Et face aux bouleversements du monde, ils constituent toujours des repères pour amener la stabilité et la sérénité dont l’homme a besoin. Dans une société où notre avenir est incertain, plus que jamais l’architecture doit incarner des valeurs. Rendre compte d’une conception du monde où on appréhende la réalité en premier lieu au travers de la perspective humaine. Plus que l’instabilité, la précarité, la fragmentation et la discontinuité, il faut veiller à ce que l’architecture incarne la « rassurance » chère à Edmond Lay[11]. Les grecs considéraient que le beau est le sens visible du bon. « Sans le bon, le beau n’existe pas » estimait Léopold Sédar Senghor[12].
Rien de spectaculaire à empoigner j’en conviens dans l’architecture que je défends. Elle n’est pas forcément photogénique, elle ne figure pas toujours sur les couvertures des magazines. Sa richesse est ailleurs. Dans la fluidité de ses parcours, dans la générosité de ses proportions, dans ses points de vue qui, au-delà de la satisfaction des besoins vitaux de l’homme, le transporte et l’émancipe.
[11] Architecte français (1930-). Grand Prix National d’Architecture 1984. [12] Ecrivain et homme politique sénégalais (1906-2001).
L’architecture du Mouvement Moderne
Tel a sans aucun doute été le grand idéal du Mouvement Moderne : « la beauté pour tous les jours et pour tous » que défendait Jean Prouvé[13]. Une beauté « indicible » -Le Corbusier-, qui ne se voit pas mais se vit. Un « contenu abstrait » -Jean Renaudie[14]– qui nous fait éprouver du plaisir. Qui procure une émotion que chacun peut expérimenter par son corps et ses sens sans culture savante : une jouissance de l’espace, des matières, de la lumière, des sons et des odeurs. L’architecture est bien cet « art de créer des atmosphères » selon Peter Zumthor[15] où une alchimie née entre les hommes et les lieux. Comment ne pas être ému en entrant dans la philharmonie de Berlin conçue par Hans Scharoun[16], la bibliothèque Exeter de Louis Kahn[17], le musée archéologique de Lyon réalisé par Bernard Zehrfuss[18] ou en parcourant certaines cités-jardins de Bruno Taut[19] et ensembles de logements de Fernand Pouillon[20]. Plus que par un grand frisson qui pétrifie, on y est traversé de ce qu’Henri Ciriani[21] appelle le « petit froid », qui nous emporte dans un moment de magie ou tout simplement de joie. J’aime cette architecture qui privilégie l’espace à vivre plutôt que les symboles et les références intelligibles des seuls initiés, qui satisfait mais dépasse aussi les considérations de pur fonctionnement d’un édifice pour en faire une œuvre. Cette ambition a bien été le gouvernail du Mouvement Moderne et des architectes qui s’inscrivent aujourd’hui de près ou de loin dans sa filiation.
Cette modernité est le fil rouge de Médiarchi®.
Sans prétendre que cette doctrine a une valeur supérieure à une autre, le fait est qu’elle constitue un moment de rupture dans l’histoire. Malgré le siècle qui nous sépare de la période où elle a vu le jour, elle reste d’actualité. En sachant contester son universalisme, son fonctionnalisme machiniste voire son totalitarisme, elle constitue l’une des grandes utopies concrétisée du XXème siècle. Il faut rendre hommage à sa « cause » -Anatole Kopp[22]-, à sa volonté farouche d’améliorer la vie des hommes, à son humanisme.
[13] Industriel français du bâtiment (1901-1984). [14 Architecte français (1925-1981). Grand Prix National d’Architecture 1978. [15] Architecte suisse (1943-). Prix Pritzker 2009. [16] Architecte allemand (1893-1972). [17] Architecte américain (1901-1974). [18] Architecte français (1911-1987). [19] Architecte allemand (1880-1938). [20] Architecte français (1912-1986). [21] Architecte français (1936-). Grand Prix National d’Architecture 1983. [22] Architecte et urbaniste français (1915-1990). Professeur à l’Université de Paris VIII.
L’architecture du lieu
Sans dogmatisme et en sachant m’émanciper de cette référence moderne, je défends un modernisme ouvert, attentif à la tradition, enraciné dans la culture et soucieux du climat, de la topographie… . Une architecture locale plus que globale. Pourvue d’une identité propre plus que générique. Où on valorise ce qui est différencié dans un monde qui encourage l’uniformité. Afin que dans un siècle, on ne vive pas à Paris comme à Rome ou à Amsterdam.
Pour cela, il faut révéler ce que Christian Norbert-Schulz nomme le « génie des lieux »[23]. Plutôt que de mimer l’architecture d’une région en ne faisant référence qu’à quelques signes qui la caractérise -le faux pan de bois rouge en Pays Basque !-, on peut tisser un lien consubstantiel entre le bâti et l’environnement. La nostalgie, le folklore sont restrictifs. Ils peuvent conduire à une architecture décontextualisée à l’image du pavillon de lotissement dont on ne change que l’habillage entre la Bretagne et la Provence mais qui reste un produit standard. Plutôt que ce régionalisme de pacotille, je défends un « régionalisme libérateur » -Harwell Harris[24]-, une architecture de résistance telle que les « régionalistes critiques » -Kenneth Frampton[25]– des écoles suisse, catalane, scandinave ou encore portugaise l’accomplissent. Où les lignes, les forces en puissance, le sens d’un paysage sont saisis et prolongés. En matière de développement durable, ce régionalisme écologique me semble plus souhaitable que celui qui hérisse sur nos toits des panneaux solaires et nous empêche de ventiler nos maisons en ouvrant les fenêtres !
L’identité du lieu, le patrimoine, s’ils doivent être respectés doivent aussi évoluer. Pour cela, nous devons continuer de créer. Cela signifie qu’on ne peut conserver le ‘’déjà là’’ dans le formol. Le patrimoine pour rester vivant doit être utile. Il faut le transformer pour l’adapter à nos besoins contemporains. A l’inverse de Venise, figée dans sa beauté irréelle et que ses habitants, comme un décor de cinéma, vont finir par admirer de loin. Le travail de certains architectes, Carlo Scarpa[26] notamment, reste en ce sens exemplaire d’une manière de composer avec l’histoire, de faire entrer en résonnance passé et présent, de ne pas « crucifier la vie » comme l’estimait Frank Lloyd Wright[27].
[23] Architecte et théoricien de l’architecture norvégien (1926-2000). [24] Architecte américain (1903-1990). [25] Architecte et critique d’architecture britannique (1930-). [26] Architecte italien (1906-1978). [27] Architecte américain (1867-1959).
L’ architecture vécue
Dans ce que Guy Debord[28] nommait la « société du spectacle », nous sommes envahis au quotidien par la publicité. On préfère « l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être » -Ludwig Feuerbach[29]-. L’architecture n’échappe pas à cette dictature. Pour gagner les faveurs d’un commanditaire, on se presse de montrer son projet sous le meilleur jour. Les virtuoses de la représentation numérique font briller les vitrages, propulsent les murs dans l’apesanteur, jettent au sol les plus belles ombres portées. On (s’) y croirait… et pourtant ce réalisme n’a pas forcément de lien avec la réalité.
Mon propos est de parler d’architecture réelle, construite, vécue. Mon intérêt se porte vers les architectes qui ont une ‘’culture du faire’’, pour lesquels l’architecture est avant tout « l’art de bâtir » -école de Porto- et qui estiment que comme « un moine médite, un architecte doit pratiquer » selon la formule du chinois Wang Shu[30]. Plus que maîtres de l’image, ils sont maîtres de leur œuvre, capables d’assurer ce passage complexe entre la représentation virtuelle et la réalité matérielle. « Ne rien dessiner qui ne soit réalisable » comme le rappelait Jean Prouvé, être ce que Pierre Lajus[31] désigne un « constructeur de réel » et par conséquent anticiper et maîtriser les matériaux, les techniques constructives et le coût de son édifice.
Au travers de Médiarchi®, je fais le choix de parler de l’architecture réalisée essentiellement, sur laquelle existe un retour d’usage qui peut être analysé et commenté.
[28] Intellectuel français (1931-1994). [29] Philosophe allemand (1804-1872). [30] Architecte chinois (1963-). Prix Pritzker 2012. [31] Architecte français (1932-).